NOTE SUR LA SCIENCE GENERALISEE DE L’HOMME

Tokyo, le 15 mars 2006


Hideaki NAKATANI, ILCAA, TUFS
    Chief investigator of the Joint Research Project:
    Research on new representations of world and humankind:
    - Pursuits of values and morals appropriate for the global civilizations –


 La science généralisée de l’homme est une nouvelle science visant à établir un savoir sûr et créatif approprié au monde contemporain par des réflexions générales et approfondies sur le savoir humain.

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     Un être qui a acquis le premier sur terre la faculté de se reproduire soi-même, ou le premier être vivant, n’a pas tardé à posséder également la faculté de détecter son environnement et celle de conserver ces informations. La faculté de les exprimer et les communiquer à d’autres êtres vivants en a découlé.
     Ce système du savoir des êtres vivants qui consiste en trois parties principales entrée - conservation - sortie des informations, à savoir connaître le monde environnant, conserver ses informations et les communiquer, peut être reconnu invariablement dans le savoir des êtres vivants depuis les arthropodes, bien que ces trois parties aient évolué ou aient dégénéré selon les espèces et selon les périodes.
     Une fois que le développement du savoir des êtres vivants aura été retracé ainsi, nous comprendrons mieux la particularité du savoir humain. Les éthologie, anthropologie, neuroscience, génétique, linguistique générale, biologie évolutionnaire, psychologie évolutionnaire, etc., en effet, ont dévoilée celle-ci ou sont en train de la dévoiler, en la comparant avec celles très diversifiées des autres animaux. Elles éclairciront notamment les formations et fonctions du language humain et celles de la zone préfrontale du cerveau humain, qui se sont développées particulièrement chez l’ homme. Le language lui a permis d’avoir une intelligence très complexe, bien que tous les êtres vivants vivent plus ou moins avec un savoir de même nature. La zone préfrontale du cerveau humain, quant à elle, permet d’avoir une émotion proprement humaine (prévenance, sens des responsabilités, maîtrise de soi, etc.), alors que, au cas où un homme a perdu cette zone dans un accident, il ne perd pas la moindre faculté de language.
     Voilà, par exemple, une observation pour ainsi dire de l’extérieur du savoir humain.

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     Quant au contenu même du savoir humain, nous pouvons reconnaître ce que l’homme a le plus anciennement senti, a pensé, ou a exprimé, à l’aide d’une mythologie comparée nouvellement développée par Michael Witzel (Harvard Univ.). En effet, dans ces dernières années, il a essayé de démontrer que des mythes le plus anciennement créés en Afrique (il y a environ cent mille ans), qui seraient le plus ancien savoir humain reconnu sous forme de language, ont été transmis le long du bord de la mer en Océanie (il y a cinquante mille ans) et, plus tard, diffusés dans toute l’Eurasie (il y a trente mille ans).
     Pour une période plus récente, à savoir pour les derniers cinq mille ans, les sentiments et les pensées transmis chez des peuples oralement, par écrit ou sous forme de divers arts ou rites religieux peuvent être éclaircis par les études classiques, historiques, anthropologiques, etc. Le savoir - ces sentiments et pensées - d’un groupe d’anciens, accumulé avec le temps a acquis en fonction du cadre géographique ou historique, des particularités par rapport à ceux des autres groupes pour former finalement un sens commun propre à une civilisation.
     C’est ainsi que la mythologie et la civilisation peuvent être considérées comme deux éléments principaux qui constituent le savoir humain avant les temps modernes.

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     Au seuil des temps modernes, Descartes a souligné la gigantesque force potentielle de la physique qui pourrait exploiter la nature; c’est alors que s’est déclenchée une époque dite de science qui est la nôtre avec application de la physique ou de la science. Désormais les caractéristiques de la nature sont mesurées en quantité pour être utilisées au profit du bien-être de l’humanité.(1)  
     Comme la quantité est l’information la plus facile à détecter, conserver et communiquer, les technologies scientifiques soutenues par les faits positifs quantitatifs ainsi que par leur logique ont bientôt fait un grand bonheur à l’homme, en même temps qu’elles le menacent par leur forces mêmes (bombe atomique, problèmes de l’environnement, influence sur la spiritualité humaine, etc.).
     Etant donné l’énorme pouvoir des technologies modernes, il n’y aurait jamais eu une époque où la conception du futur monde soit pour l’humanité aussi cruciale qu’aujourd’hui. Mal employées, elles la tueront, alors que proprement employées, elles lui apporteront un bien-être inimaginable.

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     Maintenant, donc, il est d’une importance primordiale de former un nouveau savoir sûr et approprié au monde contemporain.
     Il faudrait commencer par approfondir les connaissances du monde environnant, comme c’est de tradition chez les êtres vivants. Connaître ce qui se passe dans le monde actuel, ce serait se rendre compte de situations économiques et sociales (opulence et pauvreté, famine, épidémies, finances internationales, etc.), de dynamiques politiques (conflits, démocraties, despotismes, partis politiuques, etc.), et de problèmes de l’environnement, de tous les coins du monde. En d’autres termes, ce serait réexaminer à fond ce que les technologies ont apporté et surtout celles de pointe (neuroscience, informatique, génétique, nanotechnologie, etc.) va apporter au monde actuel où de diverses traditions spirituelles des civilisations sont encore vivantes.
     D’autre part, il faudrait aussi redéfinir ce qui est la vie ou les vies souhaitable(s) pour nous tous. C’est bien entendu ce qui est necessaire pour trouver le bon chemin d’un monde souhaité.
     Quels étaient exactement d’ailleurs ces divers bien-êtres vifs et riches que les civilisations ont conçus? Quelles valeurs peuvent-ils garder aujourd’hui, compte tenu à la fois de l’histoire totale du savoir des êtres vivants et de situations du monde actuel?
     Les méthodes et les concepts des sciences sociales et humaines devraient être révisées, d’autant plus que depuis 15e siècle, celles-ci ont accumulé toutes les informations venant du monde entier pour en former un savoir organisé presque uniquement du point de vue européen.(2)  Pour ne pas laisser tomber les autres, il  est necessaire que les diverses valeurs de toutes les civilisations soient minutieusement réexaminées par une coopération d’un groupe de chercheurs qui, sous forme de dialogues directs, approfondiront leurs connaissances des valeurs de civilisations et des bien-êtres que les civilisations ont apporté ou prétendent avoir apporté.
     D’autre part, l’adoration de l’autorité de la science moderne a engendré une idée erronée telle que seuls ceux qui sont mesurables en quantité sont significatifs pour notre vie.
     Ou encore, il est à craindre que des vérités pseudo-scientifiques, censées absolues, règnent notre vie intellectuelle, religieuse, ou civile (des consommateurs), alors que la science authentique, en fait, ayant pour principe de se renouveler incessament, n’admet qu’une vérité relative et temporelle.
     Chose plus importante encore, la neuroscience et la génétique obtiendront bientôt la capacité de manier nos sensibilités ou notre personnalité même. La biologie moléculaire se donnant à la fabrication d’organes, y compris le cerveau, la prolongation de notre vie jusque’ à l’éternité, ou presque, n’est plus un rêve.
     Finalement, est-ce une vie éternelle de satiété et de volupté dans une serre asceptique que nous souhaitons ? Ou au contraire, faut-il retourner à une vie simple des hommes primitifs dépendant entièrement de l’arbitraire de la nature environnante (comme c’est souvent proclamé par certains des écologistes ou des religieux)? Ou bien encore, y-a-il une troisième vie qui est équilibrée, enrichissante et digne de vivre et qui ne s’écarte pas tellement des valeurs traditionnelles des civilisations ?
     Il nous faudrait y bien réflechir. Ce sera seulement après cette réflexion et sur la base de sa conclusion que nous pourrons imaginer une société future à réaliser.

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     En fin de compte, ce qui est nécessaire actuellement, ce serait:
1) Reconsidérer le savoir humain de l’extérieur et de son contenu, à savoir, d’une manière bio-historique et historique. La reconsidération relève en particulier, d’une part, de fonctions du language et de la zone préfrontale du cerveau humain, de l’autre, de la mythologie et des civilisations.
2) Se rendre pleinement compte des situations actuelles du monde entier et des acquis des sciences, notamment celles de pointe.
3) Rechercher ce qui constitue la vie qui mérite de vivre, en tenant compte à la fois desdites reconsidérations et informations, et notamment de ce qui sera réalisé par les sciences de pointe. Ces recherches nous permettront de réviser l’eurocentrisme des sciences humaines et sociales d’aujourd’hui ainsi que l’omnipotence imposée à la science moderne et, du même coup, de concevoir une future société globale convenable pour toute l’humanité.

     Vu la vitesse du développement du monde et de la science ainsi que l’urgence de besognes, nous ne pourrons réaliser à temps cette tâche de reconsidérations et de synthèses sans une coopération de chercheurs de toutes les disciplines concernées. Voilà donc la nécessité d’établir un nouveau champ de recherches des sciences humaines et sociales, que nous appellerons ‘science généralisée de l’homme’ (SGH).
     Il est possible que la conception ainsi produite de la future société soit à renouveler à la limite à chaque instant ; néanmoins, la SGH définira une méthode pour sa conception.
     Une fois que les principes seront ainsi établis dans un but de réaliser un monde idéal, il nous sera possible de prendre des mesures pour faire face aux problèmes mondiaux d’une manière la plus convenable et harmonieuse (efficace, mais avec les effets secondaires, s’il y en a, les plus minimes).
     La SGH accorde de l’importance particulière au dialogue des chercheurs, parce qu’elle le considère comme le moyen le plus sûr et prompt; dans cinq ans, elle s’établira elle-même comme une displine assurée.
     Basée sur nos connaissances exhaustives de l’humanité (avec des observations de l’extérieur et de l’intérieur), la SGH est un savoir sûr. En créant des nouvelles conceptions de la vie, elle est aussi un savoir créatif, comme c’est de tradition aux êtres vivants et surtout à toutes les civilizations humaines.




    1.  Sur la formation en Europe depuis 13e siècle des conceptions du monde basées sur la quantification, voir : The measure of reality : quantification and Western society, 1250-1600, by Alfred W Crosby, Cambridge University Press, 1997.
    2.  Maurice Aymard a souligné la nécessité de ‘déseuropéaniser les sciences sociales et humaines’ au 2nd symposium international de science généralisée de l’homme, tenu à Tokyo les 22, 23 octobre 2005, dans sa conférence ‘Reconsidering States and Citizens of Europe for a Reformulation of the Methods and Concepts of Human and Social Sciences’.