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Compte rendu

Arubēru Jeruve アルベール・ジェルヴェ [Albert Gervais], Umiushi-sha うみうし社, trad., Jeruve-ikan Chūka-teikoku ni ari ジェルヴェ医官 中華帝国に在り [Le médecin-fonctionnaire Gervais vit en Empire chinois], Tōkyō, Umiushi-sha うみうし社, 1994. 317 pages, 2.400 yens. [Traduction de : Albert Gervais, Æsculape en Chine, Paris, Gallimard, 1933, 255 pages.]

Juste après le Mouvement du 4-mai (1919), au début des années 1920, un jeune médecin français aux yeux et aux cheveux noirs comme un Asiatique, Albert Gervais (né en 1892) prend ses fonctions à l’Institut bactériologique de Chengdu 成都, la capitale de la Province du Sichuan 四川省, qui, au dire du Consulat de France de Shanghai, se situait « au fin fond de la Chine. » Ce livre raconte, en vingt-et-un chapitres, les cinq années de sa vie passées là, sous son nom chinois de « médecin militaire Ren » (Ren yiguan 仁医官) : un docteur pour qui la vie humaine comptait plus que tout.

La Chine qui y est décrite est encore lourde de l’héritage des coutumes des temps des Qing ; cependant, les gens que le médecin français rencontre sont très divers, ouvriers, serviteurs ou notables, mais aussi, le fils d’un grand marchand : alors que celui-ci se voue à la « pensée moderne » et court à ses amours libres, son père, un vieux rusé, l’oblige à rentrer dans le cadre de la famille traditionnelle en usant de son argent. Ou bien encore, un général d’armée, dont le fils unique est blessé dans une bagarre à la suite d’un litige pour une partie de cartes. Le général fait endosser la responsabilité aux amis de son fils qu’il condamne à mort. Le chef des serviteurs abuse ses subordonnés en leur rabiotant une portion de leur salaire ; le tisserand vend sa femme ; la dissection est haïe par toute la population. L’auteur en arrive aussi à mettre au jour un profond mépris de la vie humaine que partagent aussi bien étudiants que militaires et fonctionnaires. Dans ce monde chaotique, il note soigneusement les premiers germes d’une Chine nouvelle, qui commence ses premiers pas vers une société que même l’Europe n’avait jamais connue.

Le livre s’ouvre sur un épisode où l’auteur, sur son chemin vers la ville de son affectation, apprend d’un missionnaire qui vit parmi les brigands indigènes le point de vue chinois selon lequel « la vie du peuple est plus lourde que celle d’un homme. » Gervais suit son intuition plutôt que ses analyses. Son attitude qui va contre le sentiment qui était commun parmi les Occidentaux, à commencer par les missionnaires américains et les « White anglo-saxons protestants », de « la supériorité de sang » des Occidentaux à l’égard des Asiatiques, fait écho au mot de la jeune prostituée nommée Zhuhua 竹華 qu’il connut, qui affirme qu’elle « déteste les gars aux “cheveux roux” [Occidentaux], ils n’arrêtent pas de crier et ils sont brutaux ! » Dans une société où, selon le consul de l’Angleterre, « le crédit circule comme une marchandise », il réussit à gagner le crédit des gens. Le livre se termine par l’épisode où il finit par parvenir à persuader le général de révoquer la sentence de mort qu’il avait prononcée contre les amis de son fils unique.

Le « médecin militaire Ren » a la souplesse de rire de lui-même, et est l’un des rares Occidentaux regardant les Asiatiques comme leurs égaux. Le monde dépeint dans ce livre se situe entre une Chine du Hongloumeng 紅樓夢 (Le Rêve dans le pavillon rouge) et la nouvelle Chine qui sera le résultat d’un grandiose défit du « Vieux sot qui déplace la montagne » (yugong yi shan 愚公移山) ; l’auteur saisit de façon perspicace la logique de cette transition. Dans ce sens, il mérite d’être lu aujourd’hui encore avec une attention toute particulière. La Chine du début du xxe siècle qui y est présentée, pétulante et pleine de vie humaine, sera toute fraîche aux yeux des Japonais, qui ne la connaissent qu’à travers « Les Lois administratives » (Qingguo xingzheng fa 清國行政法) de l’empire des Qing publiées en 1915.

Hayashi Masako 林正子 (traduit par Iyanaga Nobumi 彌永信美)
[Note de l’éditeur : Le livre présenté par Mme Hayashi est une traduction en japonais d’un livre français — donc il n’est certes pas inconnu du public français. Cependant, il nous a semblé intéressant de faire connaître en français le fait qu’une telle traduction existe en langue japonaise, et aussi comment celle-ci peut être lue au Japon d’aujourd’hui par une historienne du monde de l’Extrême-Orient à l’aube de la modernité.]