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Compte rendu

Ishii Kōsei 石井公成, Shōtoku taishi. Jitsuzō to densetsu no aida 聖徳太子——実像と伝説の間 [Le prince Shōtoku : entre réalité et légende], Tōkyō, Shunjū-sha 春秋社, 2016. 257 pages. 2200 yens.

Ces dernières années, le prince Shōtoku (574-622) a été une des figures les plus controversées parmi les personnages historiques de l’antiquité japonaise. Certains chercheurs, comme Ōyama Seiichi 大山誠一, ont été jusqu’à nier l’existence du prince tel qu’il était présenté par les documents historiques, à commencer par les Annales du Japon (Nihon shoki 日本書紀), la principale source de sa biographie : Ōyama n’a certes pas nié son existence historique comme telle, mais a affirmé que pratiquement toute l’image qui s’était formée autour de lui dans l’histoire du Japon était trompeuse et n’était qu’un tissu d’illusion (kyozō 虚像), qu’en réalité, il n’a été qu’un prince ordinaire, sans importance historique particulière 1. Selon Ōyama et ceux qui le suivirent, cette image démesurée a été créée de toutes pièces par les rédacteurs des Annales du Japon pour des raisons liées au contexte politiques de l’époque. Cette théorie, qui contredit les opinions reçues depuis des siècles, fit sensation surtout dans les média, au point que, par exemple, il y a des manuels scolaires d’histoire japonaise utilisés à l’école secondaire (le kōtō gakkō 高等学校, les trois dernières années de l’éducation secondaire) qui changèrent la description le concernant, en le nommant « Umayado-ō » 厩戸王, et en mettant entre parenthèses l’appellation usuelle de « Shōtoku taishi », afin de mettre en évidence son caractère de « simple prince impérial » (selon la thèse avancée par Ōyama), au lieu d’un « grand homme » d’une envergure particulière, tel que la tradition séculaire l’a dépeint. Le récent livre d’Ishii Kōsei vient corriger ces nouvelles interprétations, en distinguant clairement entre ce qui peut être considéré comme réalité historique et ce qui relève du légendaire, ce qui n’est pas encore clarifié de manière définitive et ce qui peut être compté comme acquis. Dans ses premières pages, il donne des précisions sur les différentes appellations du personnage : selon lui, le nom « Umayado-ō » n’a jamais existé dans les documents historiques ; il a été proposé après la guerre comme hypothèse par un chercheur, puis a été repris plus tard par un autre historien qui a écrit un best-seller sur la biographie de Shōtoku taishi. Ōyama l’a repris encore, et l’a répandu, si bien que même parmi des historiens spécialistes de l’antiquité japonaise, ce nom commence a avoir un certain « droit de cité » (Ishii, op. cit., p. 3-7).

Le livre d’Ishii Kōsei se veut être un livre de vulgarisation — pour contrebalancer la tendance actuelle de l’opinion générale qui accepte trop facilement les thèses sensationnelles d’Ōyama et de ses émules, l’auteur a sans doute voulu que son ouvrage soit lu par un large public. C’est pourquoi, il a intentionnellement adopté un style facile et oral (desu です, masu ます), et a choisi de ne donner aucune note. Pourtant, le contenu réel du livre est d’une érudition tout à fait extraordinaire. Ses méthodes se caractérisent à la fois par une vue très synthétique, incluant dans une large perspective les données de la philologie bouddhique, de l’histoire de l’antiquité japonaise, de l’histoire des arts, ou de l’archéologie, et aussi, par une précision du détail pour ainsi dire « mathématique. » C’est bien le cas de le dire surtout dans ses analyses des textes où il met largement en œuvre les techniques informatiques les plus récentes. Il se fonde aussi sur les résultats des récentes recherches de Mori Hiromichi 森博達 qui ont révolutionné les études du Nihon shoki, en y distinguant des parties écrites en bon chinois (par des rédacteurs sans doute d’origine chinoise) de celles écrites en un chinois au nombreux japonisme de toutes sortes, rédigées certainement par des Japonais (ces recherches sont menées principalement par la méthode phonologique et l’analyse des usages linguistiques (gohō 語法), de sorte que leurs résultats peuvent être considéré comme particulièrement fiables) 2. Les analyses philologiques et les recherches des sources bouddhiques sont particulièrement brillantes, et permettent de nombreuses découvertes d’un grand intérêt.

Les conclusions du livre d’Ishii sont très équilibrées : elles ne reprennent pas servilement les opinions traditionnelles qui faisaient de Shōtoku taishi l’un des plus « grands hommes » de l’histoire culturelle japonaise, mais elles réfutent largement les récentes thèses d’Ōyama. Les rédacteurs du Nihon shoki n’ont pas pu inventer de rien toute la légende d’un personnage de l’envergure d’Umayato no miko 厩戸皇子, et d’ailleurs, ils n’avaient aucune raison d’ignorer les faits historiques évidents. Le prince a certainement été quelqu’un qui a laissé une trace tout à fait extraordinaire par son intelligence et sa foi dans le bouddhisme ; il a aussi sans doute rédigé les fameuses « Constitutions en Dix-sept Articles. » Un fait qui mérite d’être noté en particulier est que, malgré la découverte faite par Fujieda Akira 藤枝晃 et son groupe de recherche de l’existence d’un manuscrit de Dunhuang qui avait des ressemblances tout à fait remarquables avec le Commentaire sur le Śrīmālā-devi sūtra attribué à Shōtoku taishi, ce qui a jeté de forts doutes sur cette attribution —, Ishii Kōsei a montré de manière concluante par ses analyses de textes assistées par informatique, que tous les trois grands commentaires qui lui étaient traditionnellement attribués, semblent avoir été écrits par une personne princière du Japon du début du VIIe siècle. Même s’ils sont maladroits et rédigés en un chinois peu correct, doctrinalement désuets du point de vue de l’état du bouddhisme chinois contemporain, ils constituent sans doute des œuvres tout à fait honorables pour un prince d’un pays qui venait d’introduire cette nouvelle religion avec la culture chinoise depuis moins d’un siècle 3.

L’auteur montre aussi que beaucoup de points de la biographie et de l’œuvre de Shōtoku taishi restent à élucider ; les études ne font que commencer.

Il insiste surtout sur le fait que, si les images de ce prince que se font les savants de différentes époques sont extrêmement variables, allant d’une glorification inconditionnelle à une diffamation pure et simple, c’est parce qu’elles sont des projections des époques et des individus, qui voient ce qu'ils cherchent à voir dans ce personnage. En d’autres mots, il est possible de déduire des images que les époques façonnèrent les tendances générales de celles-ci. Ceci amène l’auteur à s'interroger sur la validité de ses propres visions de Shōtoku taishi et les motivations personnelles qui l'ont conduit à faire ses recherches (p. 9-11)4.

Le seul regret qui puisse être exprimé sur ce livre exceptionnel est que, destiné au grand public, il manque une grande partie d’appareil critique (sauf une bibliographie succincte à la fin du volume). On ne peut que souhaiter que l’auteur produise bientôt une synthèse savante de ses études sur cet important personnage historique, en donnant toutes ses références, et en nuançant ses propos avec d’extensives notes5.

Iyanaga Nobumi 彌永信美
Le 30 août 2016

1 Voir surtout Ōyama Seiichi 大山誠一, Nagaya-ō ke mokkan to kinseki-bun 長屋王木簡と金石文, Tōkyō, Yoshikawa kōbun-kan 吉川弘文館, 1998 ; Id., « Shōtoku taishi » no tanjō 〈聖徳太子〉の誕生, Tōkyō, Yoshikawa kōbun-kan, 1999. Ōyama a publié de nombreux autre livres et articles sur le même sujet. Parmi d’autres chercheurs qui ont suivi la théorie d’Ōyama, on peut nommer par exemple Yoshida Kazuhiko 吉田一彦.

2 Voir Mori Hiromichi 森博達, Nihon shoki no nazo wo toku. Jutsu-saku-sha wa dare ka 日本書紀の謎を解く——述作者は誰か [Chūkō shinsho 中公新書], Tōkyō, Chūō kōron shinsha 中央公論新社, 1999 ; voir aussi Id., Nihon shoki seiritsu no shinjitsu. Kakikae no shudō-sha wa dare ka 日本書紀成立の真実——書き換えの主導者は誰か, Tōkyō, Chūō kōron shinsha, 2011.

3 Ishii a publié d’autres articles détaillants sa méthode et ses analyses textuelles des « Trois Commentaires des Sūtra » (sankyō gisho 三経義疏) de Shōtoku taishi. Voir « Sankyō gisho no gohō » 三経義疏の語法, Indo-gaku bukkyō-gaku kenkyū 印度學佛教學研究, 57-1 (décembre 2008), p. 530-524 ; « Sankyō gisho no kyōtsū hyōgen to hensoku gohō, jō » 三経義疏の共通表現と変則語法 (上) , Komazawa daigaku bukkyō-gakubu ronshū 駒澤大学佛教学部論集, 41 (2010), p. 394 [43]-376 [61] ; et « Sankyō gisho no kyōtsū hyōgen to hensoku gohō, ge » 三経義疏の共通表現と変則語法 (下) , in Okuda Seiō sensei shōju kinen Indo-gaku bukkyō-gaku ronshū 奥田聖應先生頌寿記念インド学仏教学論集, Tōkyō, Kōsei shuppan-sha 佼正出版社, 2014, p. 982-994.

4 Un article consacré entièrement à ces images variables de Shōtoku taishi à différentes époques est : Ishii Kōsei, « Kōkai kōen : Shōtoku taishi ronsō wa naze atsuku naru noka » 公開講演 聖徳太子論争はなぜ熱くなるのか, Komazawa daigaku daigaku-in bukkyō-gaku kenkyū-kai nenpō 駒澤大學大學院佛教學研究會年報, 40 (2007), p. 1-29.

5 Ishii a écrit d’autres articles sur Shōtoku taishi. On trouvera les références de ses autres articles publiés à <http://ci.nii.ac.jp/search?q=%E7%9F%B3%E4%BA%95%E5%85%AC%E6%88%90%E3%80%80%E8%81%96%E5%BE%B3%E5%A4%AA%E5%AD%90&range=0&count=20&sortorder=1&type=0> (dernier accès le 25 juillet 2016). Il tient aussi un blog savant sur les sujets concernant les études sur Shōtoku taishi, dont l’url est <http://blog.goo.ne.jp/kosei-gooblog> (dernier accès le 25 juillet 2016), où on trouvera des discussions très approfondies sur divers questions relatives à ces études.